Les critiques d’albums sont assez rares sur ce blog, ce qui
peut sembler paradoxal, pour ceux qui connaissent ma passion pour la musique et
mon besoin d’écouter et d’émettre un avis sur tout type de galette qui me passe
entre les mains. Cet article n’est pas une critique à proprement parler, il s’agit
plutôt d’un hommage. En ce mois d’octobre, le disque Erotica, de Madonna,
soufflait ses 21 bougies, pratiquement mon âge. C’est une des raisons de mon
obsession pour cet album : il est un indicateur de l’ambiance de l’époque
de ma naissance, de ses tabous, de ses sonorités, de ses thèmes récurrents et
de l’avant-gardisme qui le caractérisait.
Véritable hymne de la femme trentenaire libérée et urbaine,
les chansons vacillent subtilement entre la frénésie de ces années folles et l’isolement
d’une newyorkaise esseulée et ne parvenant plus à suivre son train de vie haletant.
Le grésillement offrant au disque son commencement plonge directement dans l’atmosphère
sombre des désirs inavoués (et probablement inavouables). « Mon nom est
Dita, je serai ta maitresse ce soir ». Dita, l’alias pervertie et fantasmagorique
de l’artiste nous parle sadomasochisme, en décrivant ses délires les plus
intimes et indécents, avant de nous parler de l’amour et de la fièvre qu’il
engendre. Et quel amour ardent ! Sauf qu’on ne joue pas avec une Dita, et
dans des titres tels que « Bye Bye Baby » ou « Thief of Hearts »,
on comprend qu’on a affaire à une femme nue mais aux gants de latex, qui, si
elle le désire peut s’offrir, mais n’hésite toutefois pas à donner la fessée,
voire un coup de canon pour régler ses comptes.
Mais sous ce masque de cuir aux allures perverses, se cache
par moments un brin de femme fragile, à la déroute. Dans « Bad Girl »,
Dita décrit le chemin du deuil d’une relation terminée. Et le réalisme qui
découle des paroles n’est que plus flagrant lorsque l’on se retrouve plongé
dans une situation semblable. Alors on danse pour oublier, pour s’oublier, pour
rencontrer. Et c’est précisément à ce moment que l’on en vient à regretter le
vent de folie et l’esprit de communion de cette époque. Les sonorités
fédératrices de « Deeper and Deeper » ne me lasseront probablement
jamais. Mais boire, fêter, se défoncer, lassent au final assez vite. Et lorsque
les confettis sont dans le sac de l’aspirateur, les projecteurs démontés, et
les vêtements rincés de cette odeur de cigare, que reste-t-il ? On se
retrouve chez soi, à attendre. Attendre d’oublier l’ex, de rencontrer le futur,
d’être satisfait de sa vie. Attendre que son quotidien se secoue afin de
miraculeusement nous apporter l’accomplissement de soi. Quelques chansons font
état de ce sentiment rongeant.
Les messages contenus dans cet album ne sont pas uniquement
les complaintes d’une popstar ennuyée de son train de vie délirant. Ils parlent
énormément à tout le monde. Cet opus vous propose de vous assumer, vous et vos
fantasmes, de vous protéger face aux agressions qui vous entourent, du sida aux
beaux parleurs dont la langue peut certes vous faire rugir de plaisir, mais
aussi vous transpercer et vous immobiliser au sol. Il vous prouve que les
apparences sont trompeuses, et que l’effervescence apparente que vous pouvez simuler
ne comblera pas un vide qui vous ronge de l’intérieur. L’album se clôt avec « Secret
Garden » et la mystérieuse ligne « Somewhere in Fontainebleau lies
my secret garden ». Madonna n’a jamais expliqué cette phrase, et il serait
au final déconcertant qu’elle le fasse. Cultivez votre jardin secret, une
grande part de votre bonheur en dépend.
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